Elle avançait lentement mais sûrement, elle se dirigeait calmement silencieusement vers le point de non retour, vers la scène choquante de son propre film, vers le moment fatidique de son roman d’aventure. Et c’est ainsi qu’elle réalisait curieusement ce qu’avait été sa vie.
Elle avait oublié environ une quinzaine d’année de sa vie, peut-être plus, à cause d’une amnésie. En réalité, elle n’avait en sa mémoire que deux ans et demi de souvenirs. Quelle ironie ! Elle mourrait avec autant de mémoire qu’un nourrisson !
Oh certes, la mort est toujours plus longue que la vie, pour tout le monde ! Mais ce contraste lui sembla soudain beaucoup plus flagrant. Deux ans de vie et une éternité de mort. De morts même, car elle sentait que cette mort ne serait pas sa seule mort. Elle voyagerait certainement longtemps aux côtés de la Faucheuse…
Elle était contente. Elle avait enfin l’impression que son ambition allait être satisfaite. Deux ans de vie, deux ans seulement d’attente, et une carrière miraculeuse lui ouvrait ses portes et l’accueillait dans un monde renversant de folies et de curiosités.
Ou plutôt de satisfactions à sa propre curiosité.
Elle était pleine de question, elle était pleine d’excitation, pleine de peur, pleine d’amour, pleine de sourires, et pleine de vie….Paradoxal pour quelqu’un qu’on mène à la mort. Etait-ce cela l’adrénaline ? Comme cette bouffée de vie qui nous traverse avant de nous jeter dans le vide ou de conduire une moto pour la première fois ? Etait-ce ce qu’elle ressentait en cet instant et qui semblait remplir chaque parcelle de son esprit à tel point qu’elle ne pouvait plus penser à rien ni faire le moindre mouvement ?
Elle était à la fois vide et trop pleine d’émotions contradictoires et de ce sentiment de puissance relié à l’idée de faiblesse qu’elle était obligée de ressentir aux côtés de Dante.
Dante brisa sa quiétude frôlant les frontières de l’hystérie en laissant sa voix raisonner dans l’esprit de la jeune fille aux cheveux vermeilles.
Il évoqua d’abord une atmosphère ou une aura qu’il ressentait et qu’il était le seul à ressentir dans la maison-boutique d’Urahara.
Puis il lui demanda d’aller chercher son corps toute seule.
Elle eut soudain envie de hurler. De lui crier de rester avec elle, de ne pas la quitter d’une semelle. Soudain elle eut peur. Elle eut peur d’elle-même de ce qu’elle devenait. C’était la première fois qu’elle avait aussi peur que quelqu’un s’éloigne d’elle. Etait-ce simplement la peur de perdre à nouveau un être qui était devenu central après trop peu de temps ? Ou bien était-ce la peur qu’il emmène à nouveau avec lui tous ses souvenirs. La peur du néant, du vide.
Car oui, l’amnésie c’était le vide.
- Citation :
- ~*°Flashback°*~
*Je suis nue. Nue comme un ver. Je suis éblouie. Est-ce la lumière ? La lumière du jour ? Quel jour ? Qu’est-ce que le jour ? J’ouvre les yeux. J’ai mal. J’ai mal partout en fait…Surtout entre mes jambes…. Je me sens déchirée.
Qu’est-ce qui a bien pu se passer ?
Où suis-je d’ailleurs ? C’est le matin ? Le midi ?
Une rue. Une rue toute aussi vide que mon esprit. Je suis morte de fatigue… Qu’ai-je fait ? Ai-je veillé ? Ai-je dormi ? Pourquoi étais-je allongée sur ce trottoir…nue….
Pourquoi est-ce que je n’aime pas être nue ? Les gens sont ils habillés ? Oui je crois mais comment puis-je le savoir ? Ai-je déjà vu d’autres gens ?
Mais qui suis-je d’ailleurs ? Suis-je vivante ? Suis-je matérielle ? Est-ce que je rêve ? Qu’est-ce qu’un rêve je ne me souviens plus…
Me souvenir ? Pourquoi me souvenir… j’aurais du dire que je ne sais pas… Ai-je déjà été vivante avant ?
Oui sûrement je suis trop grande pour être un nouveau né…Mais qu’est-ce qu’un nouveau né….Je ne sais plus… Je suis perdue…Perdue dans mon propre esprit, emprisonné dans un vide terrifiant….
J’ai froid…
Mes jambes sont endolories…J’ai l’impression qu’on m’a frappée. Mais qui ça « on » ?
J’ai mal à l’entre-jambe. Et je suis nue, toujours aussi nue…Qu’est-ce que cela peut bien vouloir dire ?
Quel âge est-ce que j’ai ? Je ne sais pas….
C’est étrange…Quoique…Comment pourrais-je savoir ce qui est étrange, je ne sais plus rien, je ne me souviens de rien…
Je ne peux rien savoir sans avoir vu de gens…Je ne peux rien savoir toute seule…Je ne peux pas être quelqu’un sans connaître d’autres êtres humains…Humains…Suis-je humaine ? Qu’est-ce qu’une humaine…Un être vivant…
Vivant….Et toujours cette question…Suis-je vivante ? Suis-je tout simplement ? J’ai cette impression d’illusion qui me tord, cette impression que je me convainc de choses simplement pour ne pas voir la réalité…cette impression que je refuse de m’avouer ce qui se passe réellement…
J’ai le sentiment d’avoir été trahie…Trahie par qui ? Je ne connais personne ici. Personne nulle part d’ailleurs. Je suis juste une fille perdue….
Pourquoi une fille ? Qu’est-ce qu’une fille ? Le contraire d’un garçon je crois…je me souviens de ça mais je n’arrive plus à me souvenir de ce qui les différencie réellement…Pourquoi donc ai-je la certitude d’être une fille ?
J’ai besoin de quelqu’un, j’ai besoin d’un bras, j’ai besoin surtout d’un esprit pour soulager le mien, j’ai besoin de connaissances, de nouvelles choses, de pensées pour remplir ma tête désespérément vide. Ma tête vide et pourtant si pleine, si pleine de souvenirs qui ne veulent plus sortir… Non je ne veux pas les voir sortir.
Des souvenirs trop durs peut-être ?
La peur…La peur et la faim… la faim ? Oui j’ai faim ! Depuis quand n’ai-je pas mangé ? Je n’arrive plus à me souvenir…Ai-je déjà mangé un jour ?
Qu’est-ce qu’un jour… ?
Et toujours cette question qui revient…Est-ce que j’existe ?
J’ai tant d’interrogations à l’esprit, et tant d’impatience à savoir… Que quelqu’un m’aide à y répondre…*
~*°End of Flashback°*~
Et c’était là qu’il était arrivé, le premier à l’avoir sauvée. Sauvée du vide, sauvé du néant. Elle savait à présent pourquoi Dante se superposait à l’image de celui qui l’avait secourue il y avait plus de deux ans de cela. Il l’avait lui aussi tirée hors d’un vide morose. Il l’avait fait sortir du tournant monotone et noirâtre que sa vie prenait.
A l’inverse qu’à présent il l’attirait vers une éternité à ses côtés. Alors pourquoi voulait-il la laisser seule ?
La réponse s’imposa alors avec fracas à sa raison.
Il lui laissait un dernier instant de solitude, avant la condamnation à perpétuité, ou la peine de mort… Mais là il semblait bien que ce soit les deux en même temps…tant mieux, elle n’avait jamais réussi à décider si elle était plutôt pour l’un ou pour l’autre.
Sans répondre elle s’avança. Elle marcha jusqu’à la pièce de la boutique qu’elle connaissait si bien et qu’elle avait quitté la veille…. Et pourtant… Il lui semblait à cet instant que cela faisait des années qu’elle n’avait pas mis les pieds dans cette salle.
Les étagères lui semblèrent soudain plus petites, la pièce en elle-même semblait avoir rétréci.
Yumeko marcha jusqu’à l’endroit où elle se souvenait avoir tendu la main à Maboroshii Eshu, le Maître de Las Noches.
Il n’y avait aucun corps autour.
Elle avança donc jusqu’à la petite porte qui séparait la boutique de la maison d’Urahara. Elle parcourut silencieusement les différentes pièces. Salon, cuisine, salle à manger…Jusqu’à atteindre une petite chambre qui semblait l’attendre.
La porte était fermée, mais étant sous la forme d’une âme, elle put la traverser sans encombres.
Son corps était allongé sur le lit, serein, comme en pleine méditation. Il n’était pas encore abîmé, pas encore assez mort pour en montrer les caractères physiques.
Elle vit alors soudain sa vérité humaine. Sa propre qualité de poussière, sa propre qualité de déesse.
Alors elle sourit, et sut qu’en reconnaissant ici sa propre réalité, elle faisait déjà partie de l’élite des mondes, quels qu’ils soient.
Elle leva alors la tête et laissa sa masse irréelle et immatérielle réintégrer son corps de mammifère humain.
Elle ne savait pas encore qu’elle était encore loin de réellement savoir ce que lui réservait son avenir proche.
Oui elle était encore loin de connaître toutes les surprises qui l’attendaient.